Pierre HERMÉ
La culture du goût et de la « haute pâtisserie »
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Pierre HERMÉ
La culture du goût et de la « haute pâtisserie »
Apprenti chez Gaston Lenôtre à 14 ans, Pierre Hermé a été désigné comme le meilleur pâtissier du monde par le Word’s 50 Best Restaurants en 2016.
« La pâtisserie est un art avec un grand A, en ce sens qu’elle est un véritable mode d’expression de la sensibilité, au même titre que la musique, la peinture, la sculpture. Mon seul guilde est le plaisir. »
À quel âge avez-vous eu le désir d’être pâtissier ?
Pierre Hermé Je suis né dedans. C’est une passion familiale, exercée par quatre générations. Dès l’âge de 9 ans, je rêvais d’être pâtissier. Mon BEPC en poche, mon père a repéré une annonce parue dans les Dernières Nouvelles d’Alsace qui proposait une place d’apprenti chez Gaston Lenôtre. J’y ai répondu et j’ai été pris. C’est comme cela que je suis venu à Paris, à 14 ans, pour faire mon apprentissage.
Qu’avez-vous appris chez Gaston Lenôtre ?
P.H. J’ai eu la chance de rencontrer des gens passionnés qui m’ont transmis leur savoir-faire et leurs connaissances. Cette formation a posé toutes les bases de mon métier. Elle m’a appris la qualité et l’attention au détail, la rigueur, l’importance de l’organisation. J’ai beaucoup appris, car j’étais très curieux. C’était ma passion, c’est toujours ma passion.
C’est là que vous avez découvert l’art du macaron ?
P.H. À l’époque, je n’aimais pas les macarons, je les trouvais trop sucrés ou manquant de goût. Ce qui est bon dans un macaron, c’est la garniture, que j’ai généreusement augmentée. J’ai toujours pris beaucoup de plaisir à travailler ce produit. Toujours à la recherche de nouvelles associations d’ingrédients peu connus et de saveurs inédites, je lui donne un goût “ludique”.
Avez-vous inventé le terme de “haute pâtisserie” ?
P.H. En créant la Maison Pierre Hermé Paris, je souhaitais marquer la différence avec les boutiques de l’époque en ouvrant des lieux avec une atmosphère singulière, un design raffiné, des emballages élégants, une qualité irréprochable de service et des produits de très haute qualité, tous les jours. Il existait des maisons de luxe de traiteur, chocolatier, épicerie fine, mais pas dans la pâtisserie. Nous avons alors inventé le terme de haute pâtisserie, inspiré de la haute couture.
Quel est votre processus de création ?
P.H. Chaque création fait l’objet de la même intention, du même processus. Je pars d’un dessin ou d’une recette et nous faisons plusieurs essais et mises au point successives pour aboutir au produit fini. Là, je décide si le produit est prêt à être mis en boutique ou s’il faut encore travailler. Cela varie de quelques jours à plusieurs années. Sept ans pour le gâteau Ispahan !
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
P.H. Elles sont très variées. Un ingrédient, une lecture, une discussion, une exposition, une oeuvre d’art, une couleur, un voyage, une saveur, une odeur, une forme, un souvenir, une rencontre… J’ai créé le macaron Infiniment café marocain en souvenir d’un café épicé bu dans une échoppe place Jemaa El-Fna, à Marrakech. J’ai gardé en moi son arôme de cardamome, anis étoilé, nigelle, sésame blond, cannelle, gingembre. Sur place, j’ai demandé l’exacte quantité de chaque épice pour pouvoir l’interpréter dans une nouvelle création.
Vous allez même jusqu’à créer de nouveaux goûts ?
P.H. En comprenant qu’Yves Klein avait créé son propre bleu avec l’aide du marchand de couleurs Édouard Adam, je me suis dit que je pouvais inventer mon propre goût vanille. J’ai fait appel au nez Jean-Michel Duriez, qui m’a aidé à réfléchir au parfum de cette épice. Après avoir goûté une douzaine de vanilles sur la même recette, j’en ai choisi trois pour leur complémentarité : celle de Tahiti pour son exubérance, en note de fond, celle de Madagascar pour sa note boisée, et celle du Mexique pour son côté floral.
Vous vous rapprochez souvent d’artistes ?
P.H. Depuis 1993, je crée des dialogues avec des artistes et des artisans, photographes, sculpteurs, peintres, fleuristes et toutes sortes de disciplines. Ces échanges ouvrent de nouveaux axes de travail par la découverte d’autres univers. J’ai, par exemple, travaillé avec le designer Patrick Jouin sur la création de présentoirs à macarons, avec la maison Puiforcat sur des coupes de glace, avec Bernard Venet sur le design de la galette des Rois et sur la fève. Et, dernièrement, avec Joaquin Jimenez, le graveur général de la Monnaie de Paris pour éditer des macarons-monnaie à partir des pièces officielles de 20 et 200 euros.
Comment concilier nutrition et pâtisserie gourmande ?
P.H. Depuis quelques années, je travaille sur la gourmandise “raisonnée”, qui prend en compte l’apport nutritionnel. La difficulté est de conserver le goût tout en réduisant les quantités de sucre et de gras. Traditionnellement, lorsqu’on réduit le sucre, on augmente mécaniquement d’autres ingrédients. C’est un travail de fond, un nouvel axe de travail passionnant. Nous avons réussi, avec le médecin nutritionniste Thierry Hahn et le pâtissier-chocolatier Frédéric Bau, à développer une gamme de pâtisseries avec un apport calorique réduit de 30 %.
Et la pâtisserie végétale ?
P.H. Faire des gâteaux sans aucun produit animal est une gageure pour moi qui ai appris à les confectionner avec des oeufs, du beurre, de la crème, du lait. Mais notre maison ne peut ignorer cette tendance végane. Le sans-gluten ne m’est pas inconnu, puisque nos macarons n’en contiennent pas. Pour les autres gâteaux, nous avons réfléchi à un mélange de farines à base de farine de riz, poudre d’amande, fécule de maïs et de pomme de terre. Aujourd’hui, nous utilisons l’eau de cuisson des pois chiches à la place des blancs d’oeufs. Cette démarche, une formidable opportunité créative, demande de repartir de zéro.
La Coupe du monde de la pâtisserie, depuis votre présidence, s’est orientée vers une pâtisserie “engagée”. Qu’entendez-vous par là ?
P.H. Il s’agit de prendre en compte les enjeux climatiques auxquels le monde est confronté. Nous devons aller vers une pâtisserie plus responsable et écologique, une alimentation et une pratique du métier plus durables. C’est une politique de petits pas. Cette année, le concours a intégré de nombreuses contraintes, dont la traçabilité des produits, le travail de produits locaux bios, etc. Et le thème était l’interprétation du changement climatique et de ses dangers.
Et dans votre propre Maison ?
P.H. Pour l’approvisionnement, nous nous tournons de plus en plus vers des circuits courts. Côté emballages, nous essayons de réduire les plastiques. C’est un travail sur le long terme, car les matières de substitution ne sont pas tout à fait au point ou trop coûteuses. Il nous faut trouver le bon matériau qui ne soit pas plus polluant, donc biodégradable ou recyclable, et qui présente des caractéristiques de résistance, de conservation et de présentation.
La transmission, valeur chère à la CEIDF, est-elle importante pour vous ?
P.H. Dans notre métier, la transmission est essentielle. Je la pratique de plusieurs façons : dans l’entreprise, par l’établissement de recettes et la formation des pâtissiers et pâtissières ; auprès du grand public, par la publication de livres ou la participation à des émissions télévisées et à des concours. Enfin, au sein de ma profession, en tant que président du comité pédagogique de l’Institut culinaire de France, qui propose des formations en boulangerie, pâtisserie, chocolaterie-confiserie, glacerie et management des arts sucrés.
BIO EXPRESS :
Propos recueillis par Marie-Laure Wallon
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