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Itv Matthieu Ricard 2019

Interview de Matthieu Ricard

 

Moine bouddhiste, Matthieu Ricard réside au monastère de Shéchèn au Népal. Depuis des années, il photographie les montagnes de l’Himalaya, mais aussi, au gré de ses voyages, d’autres paysages restés miraculeusement intacts, notamment
en Islande et au Chili

 

À l’occasion de la sortie de son nouveau livre de photo et de l’exposition qui lui est consacrée1 à Paris, Matthieu Ricard nous livre ses pensées sur les vertus de l’émerveillement et l’urgence de l’engagement écologique…

L’ouvrage de photographies que vous publiez est consacré cette fois à l’émerveillement. La nature en serait-elle la seule source possible ?

 

Matthieu Ricard : L’émerveillement peut naître en toutes circonstances, du sourire d’un enfant, d’un geste de bonté dans une zone de turbulences ou sur une route himalayenne. Mais, pour ma part, il n’est jamais suscité par la ville. L’idée de cet ouvrage est née dans un refuge sur les hauts plateaux d’Islande. Face à la beauté du paysage, le mot émerveillement a surgi. Rendre hommage à la splendeur du monde a toujours été une constante de mon travail photographique. Déjà enfant, aux photos de famille, je préférais les photos de fleur ou d’insecte ! Dans ce livre, j’ai pris le parti de faire entrer en résonance des paysages qui m’ont émerveillé ; Puisse ce cri du coeur en images contribuer à nous faire prendre conscience que la crise écologique que nous avons déclenchée est le grand défi du XXIe siècle ! Il est vital d’agir vite et bien alors que l’inertie des décideurs retarde dangereusement la mise en application des solutions préconisées par les scientifiques.

L’émerveillement aurait-il des vertus écologiques ?

 

MR : Il est beau de s’émerveiller, tragique de ne pas en être capable. « Qui s’émerveille est ouvert au monde, à l‘humanité, à l’existence ; Il rend possible un lien à ceux-ci », explique le philosophe Bertrand Vergely que je cite dans mon livre. A contrario qui ne sait pas s’émerveiller est fermé au monde, à l’humanité, à l’existence. S’émerveiller est la chose la plus précieuse. Elle nous élève et invite en notre paysage intérieur des états mentaux sereins, vastes et ouverts qui engendrent un sentiment d’adéquation au monde. « Un homme qui n’est plus capable de s’émerveiller a pratiquement cessé de vivre », disait Albert Einstein. L’émerveillement, ce n’est pas un sentiment étriqué, fragmenté, c’est une révélation qui dissout les frontières. À la différence des plaisirs ordinaires, il ne provoque ni saisie ni attachement.

 

Là, aucune trace de l’ego. Je remarque que la joie et l’émerveillement d’être dans la nature perdurent et croissent avec le temps au point de devenir un trait durable de notre tempérament. Nous possédons une affinité innée avec la nature. C’est de là que nous venons tous !

 

Le combat écologique est au coeur de votre engagement depuis toujours. Où en est votre réflexion ?

 

MR : Au lieu de considérer les scientifiques comme des trouble-fêtes, soyons reconnaissants des outils qu’ils prodiguent pour remédier aux bouleversements climatiques. Nous devons opérer des changements drastiques de nos modes de vie mais aussi cesser d’avoir peur. Face au pillage effréné des ressources naturelles, nous devons opter pour une simplicité heureuse. Les élections européennes de 2019 ont vu les partis écologiques arriver en tête des votes des moins de 34 ans. Il est urgent que les politiques prennent en compte les aspirations des générations montantes.

 

En tant qu’individu, je me sens dépassé face à l’ampleur de la tâche comme la plupart d’entre nous. Mais je tente d’allier mon engagement personnel et local à la responsabilité globale. L’émerveillement peut engendrer le respect, et le respect le désir de prendre soin de son objet.

 

L’émerveillement n’est-il déjà pas devenu un luxe ?

 

MR : Si nous voulons que perdure notre émerveillement devant la nature, il convient d’y adjoindre des notions de lucidité, d’engagement et de devoir. Si nous ne passons pas à l’action, nos activités continueront d’entraîner la sixième extinction de masse des espèces depuis l’apparition de la vie sur Terre.

 

Il est encore possible d’éviter ce bouleversement mais nous n’en prenons pas le chemin. D’immenses souffrances sont à prévoir. Si l’on compare l’histoire de la vie sur Terre (3,5 milliards d’années) à une période de 24 heures, l’homo sapiens n’est apparu que les 5 dernières secondes avant minuit ! 99,9 % de l’histoire de la vie sur Terre s’est déroulée sans nous et pourtant l’homme a marqué la planète par le fabuleux développement de son intelligence, de son art et ses sciences mais aussi par son rôle de super prédateur. On estime que le nombre d’homo sapiens ayant vécu sur Terre s’élève à 110 milliards soit le nombre d’animaux marins et terrestres que nous tuons tous les deux mois ! Le monde entier est désormais instrumentalisé par l’homme qui utilise la planète comme sa réserve. La moitié des forêts ont été abattues, la plus grande partie durant les cinquante dernières années.

 

Depuis 1950, nous sommes entrés dans l’Anthropocène, « l’ère humaine », où les activités humaines sont devenues le principal agent de transformation de la planète. Utilisons notre pouvoir pour prendre soin du monde sauvage et lui redonner sa liberté.

Quelle place peut avoir la pratique de la méditation dans ce changement de paradigme ?

 

MR : La pratique de la méditation offre un meilleur équilibre émotionnel qui permet de ne pas se décourager au premier obstacle venu et de cultiver la bienveillance inconditionnelle. En apprenant à ne plus s’identifier à nos émotions, nous dissolvons notre ego qui n’est qu’une construction de l’esprit et le fruit de l’éducation que nous avons reçue.

 

Il n’y a pas de centre de l’ego dans le cerveau ! Ainsi non centré sur notre petite personne mais plus ancré dans le présent, devenons-nous meilleurs. Et l’on ne peut contribuer à la transformation du monde qu’en se transformant soi-même !

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