Vous évoquez souvent la prison et les lourds secrets pour parler du Vatican. Comment cet entourage a-t-il réagi à votre démarche ?
Dominique Wolton : Personne n’a été mis au courant dans l’entourage. J’ai contacté le pape en tant que chercheur avec le plan du livre, un CV et une note d’intention. Le pape a accepté. Avec le recul, je mesure la confiance qu’il m’a accordée ! Inconsciemment, je devais savoir qu’alerter la Curie sur ma démarche risquait d’en compliquer le résultat (sourires).
Le pape évoque dans votre livre son enfance en Argentine, ses grands-mères, ses amitiés… Ces confidences ne sont-elles pas en contradiction avec sa formation de jésuite et les fonctions qu’il occupe ?
DW Oui, c’est une vraie question. Mais le pape assume son histoire ordinaire, sa famille où les femmes, sa mère et ses deux grands-mères ont joué un rôle crucial, sa grave maladie, sa relation à la psychanalyse, ses amitiés féminines, dont celle avec une jeune marxiste torturée et assassinée par le régime militaire argentin en 1973. Tous ces personnages l’habitent. Je suis conscient de la confiance qu’il m’a témoignée en livrant tant de détails sur son intimité.
Le livre montre combien cet homme a eu une vie sociale, émotionnelle et intellectuelle très riche avant de s’engager plus encore dans les hautes responsabilités de l’Église, et c’est sans doute ce qui contribue à son extraordinaire spontanéité.
Vous notez souvent la liberté de pensée ainsi que l’anticonformisme du pape François. Est-il si différent des autres ?
DW Radicalement ! Il est le premier pape jésuite et le premier pape d’origine autre qu’européenne. Son appartenance à l’Église du Nouveau Monde, très jeune en comparaison des 2 000 ans de l’Église romaine, en fait le pape de la mondialisation. Il est celui qui jette des ponts entre les hommes pour mieux les rapprocher. Sa proximité avec les évêques de son continent d’origine, mais aussi d’Afrique à qui il a rendu plusieurs visites, est réelle. La simplicité de son expression le rend compréhensible par tous. Son style latino, décontracté et chaleureux, tranche avec celui de ses prédécesseurs. Son discours s’adresse souvent aux plus démunis. Cette proximité avec le peuple ne l’empêche pas pour autant de faire toujours de la politique avec un grand P, celle qui est à la hauteur des Évangiles et de l’Histoire.
Ardent défenseur de la libre circulation des hommes, le pape affirme que l’Europe porte une lourde responsabilité dans l’immigration massive, venue d’Afrique notamment. Quelle devrait être la politique européenne selon lui ?
DW L’immigration est inscrite dans sa propre histoire, c’est celle de son continent sud-américain peuplé de migrants. S’il en reconnaît la complexité, la ligne à suivre en matière de migration est néanmoins très claire selon lui : le devoir d’accueil. Nous ne pouvons pas rejeter les réfugiés hors de nos frontières, d’abord parce que ce sont des hommes, ensuite parce que les causes de leur exil sont toujours liées à la guerre et à la pauvreté. Or qui livre des armes à ces pays et exploite leurs ressources ? Nous. Le pape nous invite à assumer nos responsabilités passées et présentes.
Les droits de l’homme semblent avoir une place particulière pour le pape François. Quelles sont ses convictions en la matière ?
DW C’est justement parce que les droits de l’homme sont pour le pape une valeur suprême qu’ils doivent être prioritaires et primés sur les considérations économiques ou sécuritaires. En revanche ces droits doivent porter en eux une transcendance, qui trouve son origine dans la foi en l’existence de Dieu et l’amour de son prochain.