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Interview de Dominique WOLTON

 

Le chercheur Dominique Wolton, Directeur de recherche au CNRS, fondateur et directeur de la revue internationale en communication Hermès (CNRS éditions), est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages.

 

Le dernier d’entre eux, Pape François, Politique et société (Éd. de l’Observatoire), relate une série d’échanges exclusifs avec le souverain pontife.

Vous évoquez souvent la prison et les lourds secrets pour parler du Vatican. Comment cet entourage a-t-il réagi à votre démarche ?

 

Dominique Wolton : Personne n’a été mis au courant dans l’entourage. J’ai contacté le pape en tant que chercheur avec le plan du livre, un CV et une note d’intention. Le pape a accepté. Avec le recul, je mesure la confiance qu’il m’a accordée ! Inconsciemment, je devais savoir qu’alerter la Curie sur ma démarche risquait d’en compliquer le résultat (sourires).

Le pape évoque dans votre livre son enfance en Argentine, ses grands-mères, ses amitiés… Ces confidences ne sont-elles pas en contradiction avec sa formation de jésuite et les fonctions qu’il occupe ?

 

DW Oui, c’est une vraie question. Mais le pape assume son histoire ordinaire, sa famille où les femmes, sa mère et ses deux grands-mères ont joué un rôle crucial, sa grave maladie, sa relation à la psychanalyse, ses amitiés féminines, dont celle avec une jeune marxiste torturée et assassinée par le régime militaire argentin en 1973. Tous ces personnages l’habitent. Je suis conscient de la confiance qu’il m’a témoignée en livrant tant de détails sur son intimité.

 

Le livre montre combien cet homme a eu une vie sociale, émotionnelle et intellectuelle très riche avant de s’engager plus encore dans les hautes responsabilités de l’Église, et c’est sans doute ce qui contribue à son extraordinaire spontanéité.

Vous notez souvent la liberté de pensée ainsi que l’anticonformisme du pape François. Est-il si différent des autres ?

 

DW Radicalement ! Il est le premier pape jésuite et le premier pape d’origine autre qu’européenne. Son appartenance à l’Église du Nouveau Monde, très jeune en comparaison des 2 000 ans de l’Église romaine, en fait le pape de la mondialisation. Il est celui qui jette des ponts entre les hommes pour mieux les rapprocher. Sa proximité avec les évêques de son continent d’origine, mais aussi d’Afrique à qui il a rendu plusieurs visites, est réelle. La simplicité de son expression le rend compréhensible par tous. Son style latino, décontracté et chaleureux, tranche avec celui de ses prédécesseurs. Son discours s’adresse souvent aux plus démunis. Cette proximité avec le peuple ne l’empêche pas pour autant de faire toujours de la politique avec un grand P, celle qui est à la hauteur des Évangiles et de l’Histoire.

Ardent défenseur de la libre circulation des hommes, le pape affirme que l’Europe porte une lourde responsabilité dans l’immigration massive, venue d’Afrique notamment. Quelle devrait être la politique européenne selon lui ?

 

DW L’immigration est inscrite dans sa propre histoire, c’est celle de son continent sud-américain peuplé de migrants. S’il en reconnaît la complexité, la ligne à suivre en matière de migration est néanmoins très claire selon lui : le devoir d’accueil. Nous ne pouvons pas rejeter les réfugiés hors de nos frontières, d’abord parce que ce sont des hommes, ensuite parce que les causes de leur exil sont toujours liées à la guerre et à la pauvreté. Or qui livre des armes à ces pays et exploite leurs ressources ? Nous. Le pape nous invite à assumer nos responsabilités passées et présentes.

Les droits de l’homme semblent avoir une place particulière pour le pape François. Quelles sont ses convictions en la matière ?

 

DW C’est justement parce que les droits de l’homme sont pour le pape une valeur suprême qu’ils doivent être prioritaires et primés sur les considérations économiques ou sécuritaires. En revanche ces droits doivent porter en eux une transcendance, qui trouve son origine dans la foi en l’existence de Dieu et l’amour de son prochain.

En ces temps d’instrumentalisation du fait religieux par des terroristes de tous bords, le dialogue interreligieux qui lui est si cher ne doit pas être toujours facile à tenir…

 

DW Le pape est un infatigable négociateur. Ce que l’opinion ne sait pas c’est qu’il entretient un dialogue permanent avec les autorités religieuses musulmanes. Mais aussi avec son homologue orthodoxe et les représentants des communautés juive et protestante.

Le pape François égratigne à plusieurs reprises la laïcité à la française. Que lui reproche-t-il ?

 

DW Le pape est très attaché à la laïcité mais il juge qu’en France cette laïcité est trop colorée par le siècle des Lumières et ne laisse pas assez de place à la transcendance. Chez nous, les religions sont vues comme des sous-cultures alors qu’elles devraient être considérées comme des cultures à part entière. Le port d’une croix comme d’un foulard est, selon lui, la marque d’une culture. Et cette culture fait partie de la laïcité.

Le dieu argent, confie François, asservit les hommes et pille les ressources naturelles. Est-il selon lui possible de faire autrement ?

 

DW Oui le pape en est convaincu, il y a une autre voie, celle d’une meilleure répartition des richesses et d’un développement modéré afin de cesser le pillage des richesses naturelles de la planète. Il dénonce avec colère l’acculturation des peuples par la globalisation ainsi que la déforestation menée sur son continent par les grandes exploitations agricoles. Ses discours proposent à chaque fois un autre modèle humaniste et écologiste. Il dénonce souvent l’argent comme “le fumier du diable”.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué : son histoire, son destin, son talent de communicant ?

 

DW Cet homme m’a profondément impressionné par sa bonté et sa simplicité. Il est le pape des pauvres et des rejetés. Et son courage n’a comme limite que les barrières qui lui sont opposées. La réforme de la Curie qu’il mène en est l’exemple le plus probant. Sa volonté que les femmes, jusqu’à présent exclues du système, y jouent un rôle essentiel, va à l’encontre de la pensée dominante parmi les cardinaux. Il poursuit quand même sa réforme.

Si vous ne deviez garder qu’une image de ces deux années d’entretiens, quelle serait-elle ?

 

DW J’ai droit à deux ? Celle où nous sommes tous les deux en train de rire, elle exprime la confiance qui nous liait. Mais aussi celle où il s’arrête dans l’embrasure de la porte du cabinet au Vatican où ont eu lieu tous nos entretiens, il se retourne et répète avant de me quitter : “Pas facile, pas facile !” C’est à la fois l’expression de toute sa solitude face au poids de sa mission mais aussi de sa modestie. Quelle intelligence que de reconnaître toute la limite du pouvoir !

Propos recueillis par Caroline Tancrède
Source bandeau image © Wikipédia

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