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Catel MULLER

et les clandestines de l’histoire

Devenue une figure de proue de la BD française, Catherine Muller, dite Catel, brosse avec le scénariste José-Louis Bocquet le portrait de femmes d’exception dont le rôle a été occulté par l’histoire. Ont déjà défilé sous leurs plumes Kiki de Montparnasse, Olympe de Gouges, Joséphine Baker, Alice Guy… Et suivra bientôt Anita Conti, la pionnière de l’écologie.

D’où est née votre vocation de dessinatrice ?

 

Catel Muller J’ai grandi en Alsace, avec des parents professeurs de sciences. J’ai suivi une filière scientifique au lycée, sauf que j’étais hermétique à ces matières. Le seul moyen d’impressionner mes amis, c’était de dessiner. Un jour, le professeur de maths en seconde m’a surprise en train de le caricaturer. Mes parents ont été convoqués : au lieu de me punir, il leur a conseillé un changement d’orientation parce qu’il trouvait mon dessin drôle et assez ressemblant ! Grâce à lui, j’ai pu rejoindre une classe littéraire.

Quelles étaient vos lectures ?

 

C.M. Mon grand-père paternel tenait la librairie Gutenberg à Strasbourg. Petite, je lisais les albums de Goscinny, les Tintin ou Tartine Mariol. À l’époque, il n’y avait pas beaucoup d’héroïnes auxquelles s’identifier… Puis j’ai découvert Claire Bretécher : elle a donné un coup de pied à la fourmilière avec son Agrippine. Elle est devenue ma mère spirituelle.

Vous avez commencé votre carrière avec des albums jeunesse. Qu’est-ce qui vous a amenée à la bande dessinée ?

 

C.M. J’ai eu une première expérience chez Fluide Glacial. Je me suis immédiatement sentie très mal à l’aise dans ce milieu exclusivement masculin. Comme beaucoup de femmes, je me suis alors réfugiée dans la littérature jeunesse, où il y avait toute la place pour les autrices. Je me suis aguerrie aux techniques de la bande dessinée et j’ai rencontré Véronique Grisseaux, la coloriste de Frank Margerin. On a eu envie d’écrire ensemble. On s’est lancées dans l’histoire d’une Bridget Jones avant l’heure et Lucie a été ma première bande dessinée à succès.

Ensuite, j’ai eu la chance de faire l’album Le Sang des Valentines avec Christian de Metter, sur le parcours d’une femme pendant la Première Guerre mondiale. J’ai reçu le prix du public à Angoulême, ce qui m’a confortée dans l’idée qu’il fallait que je poursuive dans cette voie.

C’est à ce moment-là que j’ai rencontré José-Louis Bocquet, avec qui j’ai eu le projet d’une biographie dessinée de Kiki de Montparnasse, l’icône des surréalistes, modèle de Man Ray.

Il y a eu ensuite Olympe de Gouges, Joséphine Baker… À travers ces “bio-graphiques” que cherchez-vous à faire ?

 

C.M. Nous souhaitons raconter l’histoire de ces femmes remarquables qui sont méconnues, ou plutôt mal connues. Lorsqu’on a commencé nos recherches sur Joséphine Baker, beaucoup la résumaient à une danseuse avec une ceinture de bananes. Pareil avec Olympe de Gouges, l’une des premières féministes du XVIIIe siècle, qui a écrit la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne.

L’histoire qu’on nous enseigne à l’école manque cruellement de représentations féminines. On connaît Jeanne d’Arc ou Marie Antoinette, aux destins tragiques, mais peu d’autres héroïnes.

Nous avions ce besoin de transmettre à nos filles des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité qu’incarnent bien nos personnages. Kiki, c’est la liberté, Olympe de Gouges, l’égalité, Joséphine Baker, la fraternité… Alice Guy, la toute première réalisatrice de l’histoire du cinéma, pourrait être la créativité.

Qui sera votre prochaine héroïne ?

 

C.M. Nous allons raconter l’histoire d’Anita Conti, la pionnière de l’écologie. Si tout le monde connaît le commandant Cousteau, rares sont ceux à avoir entendu son nom à elle. Dans les années 1930, elle a été la première à lancer l’alerte sur les dangers de la pollution des mers et de la surpêche. Trente ans plus tard, elle a tenté d’apporter une réponse en inventant l’aquaculture.

Comment s’orchestre le travail d’écriture
de Bocquet avec vos dessins ?

 

C.M. Chaque album nous demande à peu près trois ans de travail. S’agissant de personnages historiques, il y a un important travail de documentation : on lit des biographies, on rencontre les familles… Ensuite, José-Louis écrit le scénario et nous établissons un story-board. Aussi bien pour le texte que pour l’image, on s’astreint à coller à l’époque. Avec Kiki, je me suis inspirée de l’École de Paris, pour Olympe de Gouges, des gravures du XVIIIe siècle et pour Joséphine Baker de l’expressionnisme.

Vous avez gagné de nombreux prix, notamment
le prix Artémisia…

 

C.M. À l’instar du prix d’Angoulême, qui était distribué uniquement à des hommes, Artémisia a été créé pour montrer qu’il y avait des femmes de talent. Je l’ai obtenu pour mon album sur Benoîte Groult, en 2014. Ainsi soit-elle, que j’ai lu à 15 ans, a été un choc, une révélation. J’ai eu la chance de pouvoir la rencontrer. On a lié une forte amitié malgré nos 40 ans d’écart, et elle m’a beaucoup appris sur le féminisme. De mon côté, je l’ai initiée à la BD, qu’elle ne lisait pas ! Pendant des années, les personnages féminins ont été représentés de manière très négative. Regardez Olive dans Popey ou la Castafiore dans Tintin

Vous êtes aujourd’hui une autrice majeure de la bande dessinée. Trouver votre place dans cet univers a-t-il été difficile ?

 

C.M. Après avoir persévéré, j’ai tracé mon sillon ! Beaucoup de femmes ont pris du pouvoir dans ce milieu et se sont revendiquées autrices. Au début des années 2000, il n’existait que des “auteurs”, qu’ils soient masculins ou féminins. Souvent, dans les festivals, on me demandait si j’étais l’attachée de presse… Il fallait s’accrocher ! Quand j’ai démarré, il y avait 4 % de femmes. Aujourd’hui, nous sommes autour de 40 %. En attendant, il y a encore 80 % de filles dans les écoles d’art et majoritairement des hommes dans le métier. Preuve que les femmes ont encore du mal à trouver leur place.

BIO EXPRESS :

 

    • 2007 Prix du public d’Angoulême pour Kiki de Montparnasse
    • 2012 Parution d’Olympe de Gouges
    • 2016 Parution de Joséphine Baker
    • 2018 Nommée présidente de la commission bande dessinée du Centre national du livre
    • 2019 Grand prix Victor Rossel de la bande dessinée pour son oeuvre
    • 2021 Parution d’Alice Guy

Propos recueillis par Sandrine Tournigand

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